« La route de Pontorson au Mont-Saint-Michel est tirante à cause des sables. Notre chaise de poste […] était dérangée à tous moments par quantité de charrettes remplies d’une terre grise que l’on prend dans ces parages et que l’on exporte je ne sais où pour servir d’engrais […] » (Gustave Flaubert – Par les champs et par les grèves).
Flaubert nous décrit dans son récit de voyage le transport de la tangue extraite dans un méandre du fleuve Couesnon, l’anse de Moidrey, entre Pontorson et le Mont-Saint-Michel.
On retrouve dès le Moyen-Age des traces d’exploitation de la tangue dans les chartes de l’abbaye du Mont-Saint-Michel accordant des droits de « tangage ».
DE La nature de la tangue
La « terre grise » de Flaubert est en réalité un sédiment marin.
Composée d’un mélange de fragments de roches et de restes d’organismes marins, principalement des coquilles de mollusques, la tangue est une poudre très fine dont les grains mesurent en moyenne 50 micromètres, soit un demi centième de millimètre !
On la trouve entre l’estuaire de la Rance jusqu’à la baie des Veys à l’embouchure de la Vire près de Carentan (entre les plages d’Utah et Omaha Beach), en passant par la baie du Mont Saint Michel et les hâvres de la côte ouest du Cotentin.
Elle y constitue des vasières d’épaisseur variable, allant d’une simple pellicule abandonnée au retrait de la mer, à une bonne grosse vasière dépassant la hauteur du genou, voire plus…
Des vertus de la tangue : de la culture maraîchère aux bains de boue
On aime ou on n’aime pas, toujours est-il que la tangue est utilisée en thalassothérapie, par exemple à Dinard, Saint-Malo ou Donville les bains…ou plus simplement lors d’une traversée de la baie !
Son principal usage jusqu’au milieu du 20è siècle concernait l’agriculture : sa richesse en débris de coquilles en fait un amendement calcaire très intéressant pour les sols acides du Massif Armoricain. Elle est par ailleurs un excellent engrais grâce à sa richesse en oligo-éléments.
Tangue et thixotropie : les sables mouvants
« Alors il reconnaît avec une indicible terreur qu’il est engagé dans de la grève mouvante, et qu’il a sous ses pieds le milieu effroyable où l’homme ne peut pas plus marcher que le poisson n’y peut nager » (Victor Hugo, Les Misérables).
La tangue est plus connue pour son comportement physique étrange à l’origine des fameux sables mouvants de la baie, les « quicksands » des anglophones.
Mélange de sables fins, de tangue et d’eau, le sable mouvant est doué de propriétés curieuses.
C’est un mélange « thixotrope » : solide au repos, il se fluidifie sous l’action de vibrations, par exemple sous les pas d’une ou plusieurs personnes, puis revient à son état solide après un certain temps.
On explique son comportement instable par sa faible granulométrie et sa richesse en carbonates. On retrouve ces mêmes propriétés chez certaines marnes ou argiles calcaires gorgées d’eau.
Des liaisons fragiles s’établissent au repos entre les particules fines carbonatées, les ions positifs et les molécules d’eau. La forte teneur en eau lorsque les liaisons sont rompues déstructure le sol. L’eau agissant comme un lubrifiant favorise le glissement des particules les unes par rapport aux autres.
Si l’on ne disparait pas dans un tel sable mouvant, le corps humain étant moins dense, on peut cependant s’y enfoncer jusqu’à la poitrine…mieux vaut alors ne pas être dans l’eau, au risque de se noyer !