Un défi…de taille !
L’an 1022 est une année importante pour le Mont-Saint-Michel : l’abbé Hildebert, 2è du nom, s’apprête à lancer le chantier de l’église abbatiale.
Hildebert a besoin de pierres, de beaucoup de pierres pour mener à bien ce chantier.
Il faut en effet aux moines une église digne du site afin de recevoir les nombreux pèlerins…et accessoirement de montrer la générosité et la puissance des Ducs de Normandie.
On cherche donc du granite. Il y en a sur place, certes, mais pas en quantité suffisante. L’île de Tombelaine alors, à moins de 3km ? Ou les carrières du massif de Saint-Broladre en Bretagne ?
N’y pensez même pas ! Allez donc faire traverser des convois de charrettes chargées de tonnes de pierre dans les sables et tangues de la baie !
Alors, comment faire ? L’idéal serait de trouver des carrières de granite de qualité, suffisamment proches et de préférence en bord de mer pour ensuite les transporter par bateau jusqu’au Mont-Saint-Michel.
Le Duc Richard II et les iles Chausey
Hildebert va heureusement profiter de l’intérêt que porte le duc de Normandie Richard II au Mont-Saint-Michel.
Pour Richard, le Mont est en effet une borne stratégique à la frontière du Duché de Normandie. Quelques années plus tôt il y avait scellé son alliance avec l’un de ses principaux rivaux en épousant Judith, sœur du Duc de Bretagne.
C’est donc généreusement que Richard accorde à l’abbaye du Mont-Saint-Michel en 1022, l’abbaye de Saint-Pair et ses dépendances.
La charte de donation délimite ainsi ce territoire : au nord par le hâvre de la Vanlée, au sud par le fleuve nommé « Tarn » (aujourd’hui le Thar). A l’est par la route de Coutances et à l’ouest par la « mer océane » avec l’île nommée « Calsoi », c’est-à-dire l’archipel des îles Chausey.
L’abbaye du Mont Saint-Michel se trouve alors propriétaire d’un formidable ensemble d’îlots granitiques en pleine mer, avec tous les avantages en termes de transport maritime et d’accès au Mont. A l’époque en effet l’accès en bateau au Mont à marée haute était plus facile qu’aujourd’hui en raison de l’ensablement moindre de la baie.
Le(s) chantier(s) de l’église abbatiale
A partir de là, tout va très vite, l’abbé Hildebert II lance le chantier de construction en 1023 juste avant de mourir.
Ses successeurs poursuivront le chantier, achevé sous l’abbatiat de Ranulphe de Bayeux en 1085. La nef et le transept de l’église abbatiale sont inaugurés en 1084 par le petit-fils de Richard II, le célèbre Guillaume le Conquérant.
Au fil des siècles, l’église abbatiale subira maintes transformations : effondrement du mur nord de la nef, transformation du chœur roman en gothique flamboyant, effondrements des tours et de la partie occidentale de la nef, reconstruction du clocher…
Mille ans après sa fondation, ne subsiste de l’église d’Hildebert qu’une partie du mur méridional de la nef.
La pierre de Chausey a traversé la Manche
Pendant des siècles les carrières de Chausey ont fourni le granite nécessaire à la construction de l’abbaye, des remparts du Mont-Saint-Michel, mais aussi de Granville, Saint-Malo. La pierre de Chausey très recherchée a été utilisée non seulement autour de la baie, mais aussi jusqu’à Paris et Londres où on la retrouve dans certains bâtiments et trottoirs.
GRANITE ET GRANODIORITE
Les géologues vous diront que le « granite » de Chausey est en réalité de la granodiorite.
Les minéraux qui composent granites et granodiorites sont, à quelques nuances près, les mêmes. Les proportions respectives de chacun sont par contre différentes.
Les granites contiennent par exemple plus de quartz et sont plus riches en silice que les granodiorites.
Par abus de langage, on parle souvent de granite pour désigner ces deux roches « granitoïdes ». Aussi on ne vous en voudra pas si vous dites que les murs de l’abbaye sont faits de granite…
Roches des Enfers
Granites et granodiorites sont deux types de roches plutoniques, nées de la cristallisation lente de remontées magmatiques au sein de la croûte terrestre.
Les géologues attribuent une origine plus profonde au magma qui a formé la granodiorite, issue non pas de la fusion partielle de la croûte terrestre, mais de la partie supérieure du manteau (la partie du globe se trouvant juste sous la croûte terrestre).
Heureusement, Hildebert n’avait pas conscience qu’il allait faire construire un sanctuaire sacré avec et sur des pierres issues des Enfers !
L’abbaye plus vieille que le Mont ?
Née il y a environ 540 millions d’années, la granodiorite de Chausey est un peu plus ancienne que les leucogranites du Mont-Saint-Michel, de Tombelaine et du Mont-Dol formés il y a seulement 525 millions d’année.
Aussi, en faisant un raccourci de…taille, on pourrait presque oser affirmer que l’abbaye est plus vieille de 15 millions d’années que le rocher du Mont-Saint-Michel !